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Timelapse vu par un glaciologue, interview avec Luc Moreau

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4 minutes


Aujourd'hui, c'est le Jour de la Terre ! Nous en avons discuté toute la semaine sur notre site web et sur Facebook. En l'honneur de cette journée, nous avons une interview spéciale pour vous !

Nous avons eu le privilège de parler avec Luc Moreau, un glaciologue indépendant associé au laboratoire EDYTEM (Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne) au CNRS de Chambéry. Luc a passé plus d'une décennie à utiliser des caméras automatiques et des timelapses pour étudier les glaciers dans les Alpes, au Groenland, au Népal et en Patagonie.

– Que fait un glaciologue ?


Luc Moreau : Le travail d'un glaciologue implique de mesurer et d'observer les glaciers. Je suis spécialisé dans la mesure des glaciers et de l'eau qui s'écoule en dessous. Cette eau peut être utilisée par les compagnies hydroélectriques, et je collabore avec certaines d'entre elles. Nous examinons comment le glacier et son mouvement réagissent aux variations climatiques. Il existe d'autres spécialités, comme celle de la plupart des glaciologues du Laboratoire de Glaciologie de Grenoble, qui travaillent principalement sur des forages profonds.


– Pourquoi vous intéressez-vous aux mouvements des glaciers ?


Luc Moreau : En général, étudier les glaciers signifie étudier un élément naturel très important dans le cycle de l'eau, et qui est vital pour notre planète, non seulement pour ses avantages, mais aussi pour les dangers qu'il pose parfois aux populations humaines. C'est aussi intéressant parce qu'ils archivent la composition de l'atmosphère et la qualité de l'air emprisonné dans les bulles... mais ce sont plutôt les glaciologistes chimistes qui travaillent là-dessus.


Le mouvement des glaciers est lié à la température : au Groenland, les glaciers s'accélèrent à mesure que la mer se réchauffe. Par exemple, le sommet du Mont Blanc est très froid, à -15°, donc il ne bouge que de deux mètres par an à cause de la déformation. Mais à des altitudes inférieures à 4 000 mètres, les glaciers commencent à fondre, et la neige contient de l'eau (qui se refroidit à 0° à la fin de l'été, connue sous le nom de glacier tempéré). Le glacier glisse alors comme un ski, descendant à une vitesse pouvant atteindre 2 mètres par jour. Lorsqu'il atteint un lac ou la mer, comme au Groenland, le glacier flotte et peut accélérer, se déplaçant jusqu'à deux mètres par heure. C'est le glacier le plus rapide du monde, se déplaçant de 50 mètres par jour ! J'avais déjà installé des caméras automatiques pour l'étudier, et depuis les cinq dernières années, nous étudions le glacier Eqi dans la Baie de Quervain.


– Comment utilisez-vous les timelapses ?


Luc Moreau : Nous ne pouvons pas toujours être sur place pour observer les glaciers, et les caméras automatiques sont d'une grande aide ! Nous pouvons voir comment le glacier évolue, comment il réagit toute l'année, à chaque saison, chaque mois, chaque jour. La caméra devient nos yeux. Pour le glacier Eqi, nous avons déjà des photos prises tous les 20 ans depuis 1912, et des timelapses depuis 2011, qui montrent la vitesse du glacier (10 mètres par jour), mais aussi que sa longueur diminue (comme tous les glaciers du monde, avec quelques exceptions !). Et puis il y a des zones où on ne peut pas aller mesurer parce qu'elles sont trop crevassées, trop dangereuses, et là la caméra automatique devient très pratique et indispensable !


« La caméra devient nos yeux »


– Prendre des photos dans ces conditions climatiques parfois difficiles doit être très exigeant.


Luc Moreau : En effet. Tout d'abord, il faut avoir un cadrage fixe, donc la caméra doit être fermement attachée au rocher. La neige et le gel sur l'objectif peuvent aussi être une contrainte. Et de même pour les variations de température, qui affectent les batteries de la caméra. Au Groenland, les boîtiers des caméras ont été fabriqués par l'équipe du laboratoire Femto-St à Besançon, en utilisant des caméras Leica. Un panneau solaire alimente les batteries de la caméra. Ces caméras ont été développées en 2007, et n'étaient pas encore disponibles commercialement. Ce sont des prototypes qui fonctionnent bien : au Groenland, certaines caméras tiennent un an à -20°, en prenant une photo par jour ! Bien sûr, il peut aussi y avoir des petits bugs techniques, mais ce sont des prototypes.



– Comment utilisez-vous ces photos ?


Luc Moreau : Quand nous étudions un glacier, nous le mesurons et plaçons des repères. Nous utilisons des photos aériennes et satellites, plaçons des marqueurs et réalisons un bilan de santé du glacier. Lorsque nous connaissons précisément la distance entre la caméra et certains repères visibles sur le glacier, nous pouvons alors faire des calculs. En éditant les images des timelapses, vous pouvez aussi voir la dynamique des mouvements des glaciers ! Et vous pouvez même calculer sa vitesse en utilisant les pixels dans les images. C'est génial, car on n'a pas forcément l'impression que les glaciers bougent si rapidement. Ils évoluent, ils vivent, et cela peut être très rapide !


– Que ressentez-vous lorsque vous retournez sur un glacier et constatez qu'il a complètement fondu ?


Luc Moreau : Complètement fondu, peut-être pas, mais disons que le glacier a complètement changé d'apparence ou de morphologie. C'est vrai que les petits glaciers peuvent disparaître assez rapidement. Dans les Pyrénées, par exemple, nous savons que dans 30 ou 40 ans, il n'y en aura plus. Nous réalisons que les glaciers sont des monstres très sensibles, aux variations climatiques par exemple. On n'a pas forcément l'impression qu'ils le sont, mais quand on revient deux ou trois mois plus tard, on réalise qu'ils ont fondu, raccourci ou déplacé très rapidement.


Dans la mer du Groenland, par exemple, depuis que j'ai installé une caméra en 2011, le glacier Eqi a perdu plus de trois kilomètres! J'ai même dû déplacer la caméra parce que le glacier avait tellement raccourci et n'était plus dans le cadre !


C'est très spectaculaire, encore plus quand vous éditez les images et voyez le glacier se déplacer en timelapse! Il y a beaucoup de phénomènes que l'on ne peut voir que comme ça.


– Quel rôle les glaciers jouent-ils dans le réchauffement climatique aujourd'hui ?


Luc Moreau : Les glaciers rendent le changement climatique visible. On parle souvent de choses invisibles : températures, bilan énergétique, fonte et gaz à effet de serre. Ce sont des choses minuscules, invisibles, mais elles sont permanentes et continues. C'est pourquoi certaines personnes ont du mal à y croire ! Le glacier va subir tout cela et rendre l'invisible visible.


– Pensez-vous que les timelapses ont aidé à alerter l'opinion publique sur l'urgence climatique ?


Luc Moreau : Oui, bien sûr ! Quand on voit des éléments naturels qui réagissent très rapidement au climat, comme les glaciers, et qu'on en fait un film sur plusieurs années (je tend à faire de longs timelapses), c'est très parlant. Vous n'avez pas besoin d'expliquer, vous pouvez voir immédiatement, de manière accélérée, l'évolution invisible d'autre chose ! Mais ce n'est pas si simple. Ce n'est pas parce qu'on voit un glacier rétrécir que le réchauffement global a lieu ! Il se trouve que les étés ont été chauds ces 25 dernières années. Les glaciers rétrécissent en raison d'une perte plus importante que le gain de neige.


Mais ils n'ont pas toujours rétréci uniquement à cause des températures ! Mais aussi à cause d'un manque de neige. C'est ce qui s'est passé dans les années 1940 et 1950. Puis, dans les années 1970, les glaciers ont gagné en épaisseur en raison de chutes de neige plus importantes et d'étés plus frais. C'est pourquoi nous préférons parler de changement climatique plutôt que de réchauffement, parce que cela affecte aussi les précipitations. Il vaut mieux avoir des hivers chauds à 0° avec de la neige que des hivers froids et secs.

 

Nous tenons à remercier Luc Moreau de nous avoir accordé du temps pour rédiger cet article, et nous sommes désolés de ne pas avoir pu transcrire l'intégralité de notre échange ! Si vous avez aimé cet article, n'hésitez pas à le commenter ou à visiter le site web de Luc Moreau.

Pour plus d'informations sur la façon dont les caméras Tikee d'Enlaps peuvent aider dans la recherche et la surveillance environnementale, visitez le site officiel d'Enlaps

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