Heidi-Sevestre-glaciologist

Heïdi Sevestre est née en 1988 à Gruffy en Haute-Savoie. Après avoir passé toute son enfance dans sa commune natale, elle a décidé de mener des études à Lyon, où elle obtient son « BSC in Physical Geography » en 2009. Elle s’est ensuite spécialisée dans la glaciologie, domaine dans lequel elle dispose d’un PhD, l’équivalent d’un doctorat, de l’Université du Svalbard en Norvège.

 

Cette glaciologue base ses recherches sur des expériences terrain principalement. Elle est spécialisée dans l’étude de la dynamique et des déplacements des glaciers : elle a d’ailleurs habité en Arctique jusqu’à la fin de sa thèse en 2015 afin de mieux pouvoir analyser le sujet. Elle étudie aussi la structure des ice shelves, terme anglais symbolisant les glaciers s’étendant au-dessus de la mer, en Antarctique.

 

1. Peux-tu nous parler en quelques mots de ton métier ?

Les glaciers sont de fabuleux baromètres du climat, ils réagissent très rapidement aux changements climatiques. Notre travail en tant que glaciologue, c’est d’essaye de comprendre la réaction des glaciers aux changements climatiques, et de prévoir la contribution des glaciers et des calottes de glace à l’augmentation du niveau des mers. Cela n’est pas une mince affaire, et nous demande entres autres de bien comprendre la dynamique des glaciers, comment ils se déplacent, a quelle vitesse, pour éventuellement prédire la quantité de glace qu’ils vont gagner ou perdre à l’avenir.

 

2. Comment définirais-tu le time lapse ?

Le time lapse est une technique d’imagerie qui en capture à intervalles réguliers le paysage à un instant t. Les images, une fois assemblée en vidéo, nous permettent de reconstruire les changements du paysage en accéléré.

 

3. Comment l’utilises-tu dans ton métier ?

Le time lapse est en train de révolutionner la glaciologie. Grâce à des systèmes simples et autonomes comme la Tikee nous pouvons voir l’invisible, et révéler des dynamiques glaciaires que nous n’aurions jamais pu observer à l’œil nu, ou sur des échelles de temps de l’ordre de la seconde à l’heure.

 

4. Quel(s) phénomène(s) te permet-il d’observer ?

Je suis particulièrement intéressée par le phénomène des surges glaciaires. Ce phénomène, inconnu du grand publique, reste une des plus grandes énigmes en glaciologie. Certains glaciers ont la faculté à accélérer pendant plusieurs années, atteignant des vitesses folles entre 1 et 50 m par jour ! C’est la surge. Une fois la surge terminée, le glacier entre en « hibernation » pendant plusieurs décennies… avant de recommencer à surger. L’eau est une des clés de ce phénomène, surtout lorsqu’elle s’accumule sous le glacier et lui permet de glisser extrêmement rapidement. Pour nous, le time lapse est l’outil le plus adéquate pour l’étude des surges glaciaires. Les cameras peuvent capturer la naissance de la surge, l’accélération du glacier et la fin de l’accélération. Il est très facile de mesurer les vitesses atteintes par le glacier de cette façon. Les images peuvent aussi révéler les entrées et sorties d’eau, et de comprendre pourquoi et comment le glacier surge !

 

5. Penses-tu que le time lapse puisse contribuer à alerter l’opinion publique sur l’urgence climatique et à les inciter à passer à l’action ?

La communauté scientifique a un rôle clé pour expliquer les causes et conséquences du changement climatique. Ce phénomène est très complexe, et parfois nous avons de la difficulté à montrer à quel point le paysage et les glaciers sont déjà en train de changer sous l’effet du changement climatique. Associer notre message scientifique à des vidéos time lapse du retrait des glaciers est pour nous le meilleur moyen de montrer l’urgence de la situation. Voir un glacier se retirer sur des centaines de mètres en quelques mois à peine, que l’on soit glaciologue ou non, est extrêmement parlant, et choquant.

 

6. Quels sont tes futurs projets time lapse ?

L’année prochaine je vais lancer un projet pour documenter la disparition des glaciers tropicaux, et montrer l’impact du changement climatique dans des régions montagneuses des tropiques ou les populations dépendent directement des glaciers. Ce projet s’appelle « Les Derniers Glaciers Tropicaux ». Nous allons installer des caméras time lapse près de ces glaciers, et produire toute une série de documentaires pour raconter l’histoire de ces populations qui vont très prochainement perdrent leurs glaciers.

 

7. Quelle est la journée type d’une glaciologue ?

La journée type d’une glaciologue dépend de sa localisation géographique ! Si par exemple je suis au bureau, je m’attèle à traiter mes données, les publier dans des journaux scientifiques, et chercher du financement pour de futurs projets.

Mais ma partie favorite du travail est d’être sur le terrain ! Et là, pas de routine, notre emploi du temps change tous les jours suivant la météo. Hiver comme été, nous vivons généralement en campements de plusieurs tentes. On commence la journée par un bon petit déjeuner, généralement de porridge qui tient bien au corps (et colle aux dents) et remplissons bien nos gourdes d’eau bouillante pour nous tenir chaud. Puis on s’approche du glacier par la mer (zodiac, kayak, bateau), par la terre (à pieds, scooter des neiges) ou par l’air (hélicoptère). Le travail peut être dangereux, nous nous approchons de glaciers très actifs, particulièrement crevassés ainsi il faut être vigilent. Avec les appareils de time lapse, nous les déposons sur les montagnes (plus stables) autour du glacier. Cela n’est pas si facile au Svalbard, le sol bouge sans arrêt (fonte du permafrost) et les montagnes peu solides à cause de l’alternance incessante entre gel-dégel.

 

8. Quel rapport existe-t-il entre le time lapse et les ours ? As-tu une anecdote à nous raconter ?

Ahaha ! Une grande partie de notre projet Glaciers On The Move se passe au Svalbard, qui est un peu le royaume des ours polaires. On y trouve plus d’ours que d’habitants. Les ours ont un odorat hors pair, et sont par nature des animaux extrêmement curieux. Ainsi, souvent, nos cameras sont visitées par les ours polaires, à notre joie ou à notre grand dam ! En Aout 2018, après avoir installé de nouveaux boitiers autour du glacier Tunabreen nous avons appris que la belle famille d’ours que nous avions observé auparavant s’était fait une joie de complètement détruire le boitier le plus important pour notre projet …. Ils ont dû être déçus, pas grand-chose à manger là-dedans.

Les ours sont aussi nos « easter eggs » qui se cachent parfois dans le time laps ! La première chose que je fais quand je récupère la carte d’un boitier c’est de chercher des ours, une fois les vérifications initiales effectuées.

Merci beaucoup Heidi !

Pour en savoir plus sur le Dr. Heidi Sevestre, rendez-vous par ici.

Et pour suivre le projet Glaciers On The Move, rendez-vous par là.

 

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